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Enfermé, confiné : quelles leçons pour demain ?

Ce moment unique dans l’histoire du XXe siècle où près de la moitié de l’humanité expérimente l’enfermement

Un nouveau mot a fait son apparition dans le langage commun : le confinement. Ce terme inusité autrefois est en passe de devenir l’alpha et l’oméga de toute conversation et pensée rationnelle de notre temps. Les « coronials » pourraient bien prendre la place des « millenials » dans un futur assez proche.

ECPM et ses équipes, comme une grande partie du monde aujourd’hui, observent un confinement strict, car c’est par une solidarité accrue et un sens des responsabilités que nous gagnerons contre cette pandémie. Une responsabilité que l’on se doit d’avoir pour autrui, pour les anciens, pour tous les plus faibles et les plus fragiles d’entre nous.

Parmi eux se trouvent tous les prisonniers à travers le monde pour qui nous avons une pensée particulière, qui du fond de leur cellule vivent avec une angoisse exacerbée les folies de ce monde nouveau. À l’isolement, se rajoute la peur de la maladie et l’angoisse de ne pas avoir de nouvelle de leur famille. Les familles, de leur côté perdent le contact avec leur proche incarcéré, souvent mis à l’isolement, dans une sorte de « quarantaine » permanente, où ils croupissent sans nouvelles, sans information de ce qui se joue à l’extérieur de leur monde clos.

Je pense tout particulièrement en cet instant à Serge Atlaoui au fond de sa prison de Kembang Kuning sur l’île de Nusa Kambangan en Indonésie.

Je pense au 24 mars 2010, il y a 10 ans exactement, où Hank Skinner, dans la tristement célèbre prison de Huntsville au Texas, devait être exécuté. Je me rappellerai éternellement ce soir où tous réunis sur la place de la Concorde à Paris, devant l’ambassade des États-Unis à quelques heures de l’exécution programmée de Hank Skinner nous continuions d’y croire malgré les minutes qui s’égrenaient. J’avais Sandrine Ageorges-Skinner, son épouse et mon amie en direct du Texas, qui était encore et toujours confiante, l’actrice Lou Doillon venait nous apporter son soutien, les militants, sympathisants et autres partenaires d’ECPM étaient tous présents, criant leur soutien. Hank a survécu à 45 min de l’exécution. Je pense à Mumia Abu-Jamal qui a passé 38 ans derrières les barreaux (dont 26 ans condamnés à mort).

Je repense toujours à Dostoïevski, dans L’Idiot, qui nous montre que le condamné à mort meurt deux fois : Il meurt dans sa certitude qu’il va être exécuté et il meurt sur l’échafaud. Je rajouterais qu’il meurt à petit feu, également dans ce purgatoire terrestre, qui n’a rien de réparateur mais tout de la main vengeresse de l’Homme.



Lire aussi : « Il y a 10 ans, Hank Skinner échappait de peu à son exécution – Le témoignage de Sandrine Ageorges-Skinner »

« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons » – Fiodor Dostoïevski

Cette expérience que nous vivons tous, malgré nous, peut nous amener collectivement à se tourner vers l’autre dans une expérience d’empathie collective au-delà des frontières, au-delà des murs, au-delà des barreaux. Deux choix s’offrent à nous après cette crise : soit nous reprenons nos vies comme avant, sans rien changer de nos habitudes, de nos comportements écologiques, éthiques et sociaux, soit nous considérons qu’il y a un avant et un après « confinement ». Que nous ne pouvons plus accepter la torture de l’enfermement. Les missions d’enquêtes qu’ECPM mène dans les couloirs de la mort partout dans le monde font partie de cette pédagogie, pour expliquer les conditions de vies très souvent scandaleuses dans les couloirs de la mort aussi bien dans des prisons insalubres et surpeuplées au cœur de la RDC ou dans la moiteur indonésienne, que dans les pénitenciers désincarnés et déshumanisant américains.

Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur général d’ECPM