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Tribune : Réintroduire la peine de mort en Israël nuirait gravement à la démocratie israélienne

Le dimanche 26 février 2023, le comité interministériel israélien sur les questions législatives a approuvé un projet de loi sur la peine de mort pour les terroristes, prévu dans le cadre de l’accord de coalition conclu par Benyamin Netanyahou avec ses partenaires de la coalition la plus à droite de l’histoire du pays. Le 1er mars, ce projet de loi a été approuvé en lecture préliminaire à la Knesset, par 55 voix pour et neuf contre.

Publié dans Haaretz, le 9 mai 2023

Le texte dispose que toute personne qui tue un citoyen israélien pour des « motivations racistes » ou en raison d’une « hostilité envers un public et dans le but de nuire à l’État d’Israël et à la renaissance du peuple juif » sera assujettie à la peine de mort. Le 27 mars 2023, le Gouvernement a tout de même été contraint de mettre en pause ce projet qui s’intégrait dans le un projet plus large de réforme du système judiciaire. Si la peine de mort pour meurtre a été abolie en Israël en 1954, elle a été maintenue pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes contre le peuple juif, la trahison et certains crimes relevant du droit militaire en temps de guerre. Dans toute son histoire contemporaine, Israël n’aura utilisé que deux fois la peine capitale. D’abord en exécutant un innocent, Meir Tobianski en 1948, ensuite en exécutant en 1962, Adolf Eichmann, pilier de la solution finale et figure du mal absolu.

Réintroduire la peine de mort dans le pays irait à l’encore de toutes les valeurs fondatrices d’Israël. Cela impacterait durablement et gravement l’image d’Israël, fragiliserait la situation des citoyens israéliens partout dans le monde et minerait la démocratie israélienne.

Rappelons que la peine de mort ne fait pas partie de la culture et la tradition juive. Nombreux rabbins, incluant le grand rabbin séfarade, Rav Yitzhak Yosef, ont condamné de tels projets de loi tant par le passé qu’aujourd’hui. La tradition juive suit depuis toujours essentiellement les positions des rabbins Tarfons et Akiba disant que jamais ils n’auraient appliqué la peine de mort (mishna Makkot 1 :10) au risque d’en faire un « Sanhédrin sanguinaire » selon les mots de Rabbi Eliezer.

Aujourd’hui, Israël est considéré sur la scène internationale comme un pays abolitionniste en droit au même titre que 119 autres pays. 27 pays additionnels sont considérés comme abolitionnistes de fait ou observant un moratoire. 75 % des pays membres de l’ONU sont donc abolitionnistes de droit ou de fait, dont la très grande majorité des démocraties libérales. Certains argueraient de la prévalence de la peine capitale aux États-Unis, mais ce serait oublier que la majorité des États américains ont eux aussi aboli en droit ou en pratique. Ainsi seule une poignée d’États (dont principalement le Texas) exécutent encore dans ce pays.

Au Moyen-Orient Israël fait office d’exception, en particulier en comparaison avec l’Arabie saoudite, l’Égypte et l’Iran. L’actualité tragique en Iran nous rappelle combien la peine de mort est honteuse et abjecte. Rétablir la peine de mort serait suivre le pas du Régime islamique qui utilise ce moyen pour réprimer les oppositions démocratiques et les légitimes velléités de libertés du peuple iranien aux cris de Femmes, Vie, Liberté.

L’obsession des Gouvernants à s’imaginer parfois que brandir la peine de mort leur permettra d’asseoir leur légitimité est navrante. On ne construit pas une démocratie sur la peur, on ne construit pas un État de droit en se fondant sur des discriminations. La peine de mort est toujours un outil d’instrumentalisation politique. Il s’agirait ici de plaire à une frange extrémiste, d’alimenter nos instincts les plus vils, cet homme des cavernes enfoui en nous qui ne demande qu’à sortir mais que 5000 ans d’humanité ont travaillé à maintenir caché.

Vous me direz que c’est pour combattre le fléau du terrorisme.

C’est oublier que lutter contre le terrorisme par la peine de mort est, sinon illusoire, du moins totalement contreproductif. On ferait prospérer le terrorisme plus encore. Mon maître Robert Badinter (qui a aboli la peine de mort en France en 1981) disait : « la peine de mort est censée dissuader du crime ; pourtant, entre les terroristes et la mort, il y a un lien secret, pervers, inquiétant et constant ». La peine de mort ne ferait qu’alimenter ce délire martyrologique.

L’application d’une telle loi serait également insidieuse : en s’appliquant à toute forme de terrorisme, elle viserait alors de potentiels futurs « Ygal Amir » ou « Amiram Ben-Oliel » ; en ciblant uniquement les terroristes palestiniens, elle confirmerait l’idée d’une loi ouvertement raciste et discriminante. Mais il s’agirait là encore uniquement de vengeance, jamais de justice.

Nous souhaitons par cet appel interpeller l’opinion publique dans le pays, pour faire réagir mais aussi alerter les citoyens israéliens dans leur ensemble des dangers que fait peser une telle loi sur la sécurité et pour les valeurs israéliennes.

La présentation récurrente de telles législations, en Israël ou ailleurs, ne fait que démontrer la fragilité des moratoires. Seule l’abolition est définitive. Une abolition pour les crimes de droit commun ou un moratoire sont facilement réversibles et mettent les populations à la merci de décisions politiques peu rationnelles dictées par la peur, la haine, le court terme, la démagogie, l’extrémisme.

Alors que l’adoption définitive des différents projets de loi de la réforme a été repoussée à la prochaine session parlementaire, le gouvernement doit stopper immédiatement tout projet de réintroduction de la peine de mort. Je pense qu’il est même urgent pour les leaders politiques qui suivront d’avoir le courage de finaliser l’irréversibilité de l’abolition de la peine de mort en ratifiant le 2e protocole facultatif relatif au Pacte international pour les droits civils et politique de l’ONU et faire d’Israël une vraie démocratie abolitionniste. Un pays allant dans le sens de l’Histoire et de l’humanité.

Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur d’ECPM et président de la Plateforme des droits de l’Homme