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« Robert Badinter était cette vigie qui nous aidait à garder le cap » Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur général d’ECPM

M. Robert Badinter

Nous venons d’apprendre le décès de M. Robert Badinter, quelle a été votre première réaction face à cette annonce ?

Je ressens une grande tristesse, un sentiment de perte personnelle de vide immense, d’avoir perdu mon maître et, plus largement, de perte pour l’humanité, pour la France, pour nos valeurs, nos convictions, qu’il a accompagnées durant toutes ces nombreuses années d’engagement.

Avez-vous un mot pour décrire quelle personne était M. Badinter pour la communauté abolitionniste ?

Un mot ne suffirait pas à le décrire… Robert Badinter était un homme déterminé. Un homme de conviction. Un homme de savoir, d’intelligence et de raison. Il détestait la violence, la bêtise. Il était aussi un homme de fidélité : fidèle à ses convictions, fidèles aux associations qu’il accompagnait, comme ECPM, il est donc très important d’honorer sa mémoire. Robert Badinter était cette vigie qui nous aidait à garder le cap : c’est maintenant à nous de continuer son combat et de garder le cap vers l’abolition universelle de la peine de mort.

M. Badinter fut un acteur majeur dans l’abolition de la peine de mort en France, mais ses ambitions dépassaient-elles nos frontières ?

Robert est un acteur majeur de l’histoire. Il est une des grandes figures de la Ve République. Il a été le Garde des Sceaux qui a aboli la peine de mort en France, il a été l’avocat qui a combattu dans les tribunaux pour permettre à certains d’échapper à la sentence suprême, il aura fait bouger les lignes sur la dépénalisation de l’homosexualité, sur les travaux d’intérêt général (TIG), les conditions carcérales et finalement sur une certaine idée de la justice et de la prison. Mais surtout, il aura été celui qui a le plus incarné – en France et dans le monde – ce combat pour l’universalité de l’abolition. Ce n’est pas seulement un combat français, c’est un combat international. La peine de mort a été abolie en France en 1981, mais elle continue à être appliquée dans d’autres pays, et Robert Badinter s’est engagé auprès de notre association pour que ce combat dépasse les frontières françaises. Il représentait ce combat de par le monde, il en avait la charge symbolique, et il était incroyable de constater à quel point son nom résonnait auprès des militant·es et des acteurs de l’État de droit et de la justice, même dans le monde non-francophone. Il avait l’habitude de dire « l’État de droit n’est pas l’État de faiblesse. » : j’ai toujours retenu cette phrase comme un mantra.

Depuis 2001, M. Badinter était le président d’honneur d’ECPM, que représentait-il pour les membres de l’association ? Quel héritage laisse-t-il aujourd’hui aux abolitionnistes ?

Parmi tous les combats que Robert Badinter a mené pour l’État de droit et pour la justice, son combat clé, c’est l’abolition. Il se trouve que c’est, d’une certaine manière, une histoire française : il s’inscrit dans celle-ci comme un élément pivot, ainsi que dans l’héritage de ses illustres prédécesseurs. Victor Hugo, en son temps, avait déjà fait de l’abolition de la peine de mort un combat personnel, pour rendre la France et le monde meilleurs. Il a été suivi d’Albert Camus, qui a été prix Nobel et à son tour, a porté l’abolition de la peine de mort comme valeur suprême. Robert Badinter s’est inscrit dans cette filiation d’humanistes, et nous-mêmes chez ECPM, nous nous sentons les enfants de Robert Badinter, et sans doute un peu les arrières petits-enfants de Victor Hugo et d’Albert Camus. Robert Badinter représentait un immense soutien, un phare pour l’ensemble des militant·es abolitionnistes dans le monde. Au-delà de l’icône, c’est la personne qui nous montrait la direction à prendre. Il était toujours très attentif à la vie d’ECPM, à sa stratégie et ses combats. Il aura ainsi participé à la quasi-totalité des Congrès mondiaux contre la peine de mort, organisés par notre association.

Est-ce qu’on peut dire qu’ECPM est un peu un enfant de Robert Badinter ? La peine de mort a été abolie en France en 1981, ECPM naît presque 20 ans après, comment ce cheminement-là s’est fait et en quoi sommes-nous les héritiers de ce mouvement ?

ECPM est sans conteste l’enfant de Robert Badinter. Comme vous le rappelez, l’abolition a eu lieu en 1981, mais elle ne s’est pas arrêtée là. D’abord, il a fallu l’inscrire dans la constitution et ECPM s’est engagée dans ce mouvement en 2007, à l’époque, Jacques Chirac était au pouvoir. Nous travaillions avec Robert Badinter pour cette constitutionnalisation. Puis, il a fallu ratifier les protocoles internationaux, et ensuite, faire de la France le porte-drapeau de l’abolition mondiale, de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1981. Robert nous épaulait dans ce sens, il a toujours considéré que nous étions ses descendant·es car il savait que l’abolition devait être universelle. Cette universalité est au cœur du combat abolitionniste et de notre engagement. C’est par cet universalisme que nous avons rejoint la famille de Robert Badinter.

Vous l’avez fréquenté personnellement, quel souvenir allez-vous garder de cet homme ?

Je le rencontrais très régulièrement, j’allais bavarder dans son appartement, il était extrêmement intéressant et intéressé. Il racontait beaucoup de choses, et représente à lui seul une partie de l’histoire française : il a rencontré tous les grands de la Ve république, il les a accompagnés, c’était des moments qu’il aimait partager avec moi. En même temps très préoccupé par les tourments de notre temps et en particulier la résurgence de l’antisémitisme protéiforme, ou du terrorisme islamiste, il était un homme très ouvert, il était particulièrement intéressé de savoir ce que pensaient les nouvelles générations, comment les militant·es d’aujourd’hui menaient désormais le combat autour de l’abolition universelle de la peine de mort. Je crois que c’est bien cette curiosité qui me marquera toute ma vie.

Y a-t-il une anecdote que vous souhaitez partager concernant Robert Badinter ?

Il y en a mille ! Mais j’aimerais vous partager celle-ci : nous avons beaucoup parlé ensemble de François Mitterrand, des bons côtés, comme des mauvais. Le jour de son élection à la tête du pays, le 10 mai 1981, il s’est tourné vers Robert Badinter et lui a dit « Tu vas l’avoir ton abolition ! ».  Son abolition, il l’a eue, et c’est assez incroyable.