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Cycle scolaire spécial Iran : l’urgence d’éduquer les jeunes à l’abolition de la peine de mort

Début mars, ECPM s’est rendu dans les établissements scolaires d’Île de France pour un cycle scolaire spécial Iran : à cette occasion, Shole Pakravan et Taimoor Aliassi, activistes abolitionnistes iranien·nes ont accompagné nos équipes pour témoigner de leurs histoires édifiantes. Leur mission ? Porter la parole de tous·tes leurs compatriotes qui subissent la violence du régime actuel et sensibiliser les adolescent·es aux enjeux dissimulés de la peine de mort. Un sujet au cœur de l’actualité alors que le taux d’exécutions grimpe en flèche dans le pays.
Taïmoor Aliassi témoigne devant une classe de quatrièmes
Taïmoor Aliassi témoigne devant une classe de quatrièmes

Contexte

Codifié par la Charia, le système pénal iranien est celui qui occupe la première place au monde en nombre d’exécutions par habitant. En 2022, plus de 500 condamné·es à mort ont été exécuté·es en violation des accords internationaux ratifiés par l’Iran. En effet, les chefs d’accusation discriminatoires liés à l’origine des accusé·es, le trafic de drogue ou la consommation d’alcool ne rentrent pas dans la catégorie des crimes les plus graves pour lesquels une condamnation à mort pourrait effectivement être prononcée.

Plaidoyer
février 2023
Depuis le début du soulèvement, déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini le…

Éduquer les jeunes aux droits civils : une nécessité absolue

« Pourquoi faut-il deux femmes pour faire un homme en Iran ? » ou la vérité amère du code islamique, qu’un élève de quatrième a interrogé dans ces termes lors du cycle scolaire. Un message qu’il est nécessaire de contextualiser et de déconstruire à travers l’éducation aux questions de société. Éduquer pour mieux prévenir, c’est la mission de Solène Paloma, chargée du projet Éduquer à l’abolition de la peine de mort chez ECPM.

Solène Paloma, Chargée de programme Eduquer aux enjeux de l’abolition de la peine de mort

Près de 500 jeunes ont reçu les témoignages poignants et éclairants de deux « témoins » de cette peine cruelle et inhumaine en Iran, Shole Pakravan et Taimoor Aliassi ; deux militant·e·s contre la peine de mort, aux récits de vie bien différents.

Une partie d’entre eux ont découvert en avant-première le documentaire 7 hivers à Téhéran de Steffi Niederzoll. Ce long métrage retrace l’histoire de Reyhaneh Jabarri, condamnée à mort à l’âge de 19 ans, puis exécutée pour le meurtre de l’homme qui était sur le point de la violer. Devenue symbole de la lutte pour les droits de femmes en Iran, le combat de Reyhaneh est désormais porté par sa mère,  Shole Pakravan.

Et c’est avec cette dernière que les jeunes spectateurs·rices ont eu la chance de pouvoir s’entretenir suite à la projection. Véritablement touché·e·s par la triste histoire de Reyhaneh, choqué·e·s par l’injustice qu’elle a subie et admiratifs·ves de la force et du courage de Shole, sa mère, ce sont des élèves sans voix qui ont quitté la salle à la suite à d’un échange fort en émotions. Quelques-un·e·s ce sont tout de même timidement approché·e·s de Shole pour la prendre dans leurs bras et la remercier pour cette leçon de vie.

Témoignage
mars 2023
Dans le cadre et du travail d’ECPM sur la peine de mort en Iran et…

Les équipes d’ECPM ont ensuite retrouvé ces jeunes en classe, afin d’échanger sur leurs ressentis et leur compréhension de la situation dont a été victime Reyhaneh. Cet échange a été l’occasion de parler plus largement de l’application de la peine de mort aujourd’hui dans le monde.

Les autres élèves ont quant à eux rencontré Taimoor Aliassi. Issu d’une famille kurde d’Iran, Taimoor a quitté l’Iran après la révolution de 1979.  Désormais citoyen suisse, il a créé en 2006 l’Association pour les Droits Humains au Kurdistan d’Iran-Genève (KMM-G) afin, entre autres, de promouvoir la démocratie, le respect des droits humains et le développement social au Kurdistan d’Iran et au-delà. Taimoor a exposé aux jeunes la réalité d’un Iran répressif où les droits humains et les libertés sont bafoués ; un pays où la peine de mort est utilisée comme outil de répression politique afin de contenir les soulèvements populaires et gouverner par la peur.

Les réactions étaient nombreuses pour cette jeune génération ultra-connectée au monde. Finalement, aborder la situation actuelle en Iran à travers le prisme de la peine de mort a permis d’éveiller les consciences sur bien des sujets connexes. Les élèves ont notamment réalisé que certains crimes passibles de la peine de mort en Iran ne sont autres que des droits civils fondamentaux en France comme le fait de manifester ou encore consommer de l’alcool. La différence de traitement entre les femmes et les hommes les a également interpellé·es : en effet, en Iran, une femme n’a de valeur que la moitié de celle d’un homme. 

Ce cycle thématique s’inscrit parfaitement dans bien des domaines traités par les enseignant·es, notamment en enseignement moral et civique (EMC), en ce qu’il soulève des réflexions autour de la liberté d’expression, des discriminations, des inégalités, etc.

Les représentations et idées reçues sur la peine de mort, qui bien souvent s’attachent aux pires crimes de sang commis dans les quelques démocraties qui la pratiquent, sont de fait déconstruites et laissent place à des débats éclairés et réalistes.

Selon moi, ECPM a une véritable expertise à apporter aux  jeunesses dans leur lecture de l’actualité et leur vision du monde. Les sensibiliser à la peine capitale alors qu’elle menace 60 % de la population dans le monde participe à leur questionnement sur la citoyenneté mondiale et les valeurs d’un monde qu’ils et elles souhaitent construire. 

+ 400
élèves sensibilisés au sujet de la peine de mort
2
témoins invités aux interventions scolaires

La parole au témoin : Taïmoor Aliassi, représentant auprès des Nations Unies de l’Association pour les droits humains au Kurdistan d’Iran à Genève (KMMK-G), et vice-président d’Impact Iran

Est-ce que c’est la première fois que vous intervenez auprès d’un si jeune public ?

En France et sur la thématique de la peine de mort, oui. C’est vraiment très intéressant pour moi de me confronter à la réalité, à la perception de la peine de mort par les jeunes et à leurs connaissances du sujet. Je trouve qu’il est très important d’éveiller leur curiosité à cet âge pour les aider à former leur opinion.

Qu’est-ce qui vous a marqué lors de ces interventions ?

Je croyais qu’à cet âge, cela ne les intéresserait pas d’en discuter, que le sujet ne les toucherait pas… Mais dès qu’on a eu recours à des notions comme  l’application de la peine de mort pour les jeunes femmes et les jeunes filles, j’ai senti une forme d’empathie de leur part et ça m’a beaucoup touché ; même si ce sujet est très éloigné de leur réalité ici à Paris. Ce sens de l’empathie m’a vraiment ému.

Selon vous, pourquoi est-il important de témoigner auprès des jeunes générations ?

Pour contrebalancer les discours souvent violents que l’on peut voir à la télévision ou dans les médias. La peine de mort est un sujet dont on ne parle plus en Europe alors que certains États comme la Hongrie par exemple ont manifesté la volonté d’un retour à la peine de mort. Témoigner est une question primordiale car plus la jeunesse est avisée et informée, mieux nous traitons les problèmes de violence dans la société. Il ne faut pas ignorer non plus l’influence de l’opinion publique de la France vis-à-vis des pays qui appliquent la peine de mort.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager auprès du peuple Iranien ?

Parce-que moi-même je viens du Kurdistan iranien. L’Iran figure parmi les pays qui exécutent le plus au monde, proportionnellement à leur population. La peine de mort vise particulièrement les minorités ethniques et religieuses et l’Iran est aussi l’un des rares pays qui exécutent des enfants. Le nombre d’exécutions augmente à nouveau d’années en années. Je suis touché parce que ma famille et mes amis sont en Iran et que je connais moi-même des personnes qui sont en prison.

Au départ je ne travaillais pas sur la peine de mort, je travaillais en général sur les droits humains mais depuis que j’ai connu ECPM, je me suis un peu plus sensibilisé sur la question de la peine de mort. J’ai commencé à m’ouvrir à ce domaine et à m’y investir, ainsi qu’à interviewer des personnes en attente de leur exécution dans le couloir de la mort. C’est devenu malgré moi une des causes pour lesquelles je travaille aujourd’hui.

Une fois obtenu le statut de réfugié en Suisse, pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre implication dans le plaidoyer à l’international ?

À l’âge de 13 / 14 ans j’avais déjà survécu à une révolution et trois guerres. Donc j’ai grandi dans un contexte de révolution, de combat… Plusieurs membres de ma famille étaient opposés au système islamique en Iran et engagé·es contre le régime. Moi, à l’âge de 14 ans je voulais changer le monde, j’étais activiste, antisystème, très révolté contre le système de notre société, qu’il soit religieux, patriarcal ou autre. J’étais donc très engagé depuis un très jeune âge.

Comment vous avez réussi à transformer cette colère en un combat productif ?

J’avais 17 ans lorsqu’un parti politique est venu recruter des jeunes pour aller combattre contre le clergé Islamique en Iran. Il y avait une autre possibilité qui était de suivre une formation d’enseignant. De mon côté, j’avais un frère et des cousins qui se sont inscrits pour aller combattre mais j’ai choisi la deuxième voie, plus pacifique que celle de la violence, qui me permettait de leur enseigner pourquoi ils prenaient les armes. Depuis un très jeune âge j’ai décidé que la meilleure manière était d’écrire, d’éduquer, de sensibiliser, de réfléchir, d’informer et de plaider.

Vu votre partenariat de longue durée, quelle est votre relation avec ECPM ?

Nous sommes partenaires depuis 2010. Je représente souvent ECPM à l’ONU à Genève et dans nombre de réunions qui sont organisées à l’ONU, au Parlement européen ou autre. Durant les conférences organisées soit par l’UE, la Suisse ou une tierce partie, il y a toujours quelqu’un d’ECPM qui intervient sur la peine de mort. Je suis invité à intervenir dans le cadre des activités d’ECPM à chaque congrès, ce que je considère comme un privilège. Ça me permet de faire de nouvelles connaissances et d’avoir de nouveaux réseaux. Cette collaboration nous tient beaucoup à cœur, vu qu’ECPM a une relation avec le monde et que nous, nous gérons une petite ONG à Genève. C’est une fenêtre sur le monde.

Est-ce qu’il y a un dernier message que vous souhaitez transmettre ?

Je suis content de voir qu’ECPM a mis l’accent sur l’éducation de la jeunesse, car la jeunesse c’est le futur. C’est une grande chose que d’investir dans la jeunesse.

Portrait de Taimoor aliassi
À propos de Taïmoor Aliassi

Taïmoor Aliassi est un citoyen suisse d’origine kurde d’Iran, pays qu’il a quitté après la révolution de 1979. Titulaire d’un master of Advanced Studies en action humanitaire avec une spécialisation en droit international à l’Institut universitaire de Genève (IHEID), il est le co-fondateur du KMMK-G, une association qui promeut la démocratie, le respect des droits de l’homme et le développement social au Kurdistan d’Iran et au-delà (membre d’Impact Iran).

Taïmoor Aliassi est animé par la volonté de lutter contre toutes les formes de discrimination, notamment à l’encontre des personnes issues des minorités ethniques et religieuses de la région, de plaider contre la peine de mort et de promouvoir les droits des femmes et des enfants.