Aller au contenu
Naviguez
sur notre carte interactive
Partager

ECPM en Asie : construire de nouvelles stratégies pour l’abolition de la peine de mort

Les 26 et 27 mai 2023, ECPM, Anti Death Penalty Asia Network (ADPAN) et la Taiwanese alliance to end the death penalty (TAEDP), ont tenu un séminaire à Taiwan visant à échanger autour des stratégies mises en place dans la région pour aboutir à l’abolition de la peine de mort. Bangladesh, Inde, Indonésie, Iran, Japon, Malaisie, Myanmar, Pakistan, Philippines, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Singapour, Taïwan, Thaïlande et Viêt Nam : dans la capitale d’un pays modèle en termes de défense des droits humains et démocratie, 17 pays étaient réprésentés pour une soixantaine de participant·es à l’évènement. Pour prolonger la rencontre, TAEDP et ADPAN ont organisé un forum des jeunes réunissant une nouvelle génération de militant·es de l’abolition autour de thématiques clés et de visites de terrain leur permettant de s’imprégner de la réalité et de l’histoire de la peine de mort dans la région.
Photo de groupe, fin du séminaire à Taipei, 27 mai 2023

La peine de mort en Asie : où en sommes-nous ?

Alors que deux tiers des pays du monde ont aboli la peine de mort en loi ou en pratique, l’Asie reste la région qui compte le plus d’exécutions au monde, mais cela n’a pas toujours été le cas : lors de la cérémonie d’ouverture du séminaire, Raphaël Chenuil-Hazan a d’ailleurs rappelé que la tendance abolitionniste avait débuté bien avant l’abolition en Europe sous la dynastie Tang. Aujourd’hui, les gouvernements voient dans la peine capitale l’opportunité d’asseoir leur pouvoir et d’instiller la peur au sein de leurs populations, ignorant les accords internationaux et justifiant majoritairement son maintien par la lutte contre le trafic de drogues.

Une résurgence inquiétante des exécutions lors de vagues de répression politique

En 2021, au moins 462 exécutions ont eu lieu sur le continent (sans compter les exécutions en Chine) et plus de 1 175 personnes ont été condamnées à mort (les chiffres de la Chine, de l’Iran, de la Corée du Nord, d’Oman, du Qatar, de la Syrie et de la Thaïlande n’ont pas été divulgués).

En 2022, un nombre très élevé d’exécutions a eu lieu dans des contextes particulièrement effroyables, notamment en Iran (au moins 582), au Myanmar (2) où les exécutions ont repris après un moratoire de 34 ans et à Singapour, où 11 condamnés à mort ont été exécutés après une pause de trois ans, en violation du droit international, notamment lors de l’exécution d’un condamné à mort souffrant d’un handicap mental.

Des avancées positives annonçant les prémices d’une tendance abolitionniste dans la région

À près d’un mois du séminaire régional sur la peine de mort en Asie, le gouvernement malaisien a adopté une loi remplaçant la peine de mort obligatoire par des peines alternatives pour 11 chefs d’accusation, dont le meurtre et le terrorisme, et donne aux juges le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte des circonstances atténuantes et de commuer les peines pour ces crimes.

Ces deux dernières années, deux pays ont franchi le pas de l’abolition. D’abord le Kazakhstan (2021), pour tous les crimes, puis la Papouasie-Nouvelle-Guinée (2022). En 2021, le Sri Lanka a renoncé aux condamnations à mort des personnes mineures au moment des faits leur étant reprochés.

De petits pas ouvrant le chemin de l’abolition ont également été observés dans certains pays, comme en Indonésie où l’adoption d’un nouveau code pénal prévoit désormais une période de probation de dix ans en cas de condamnation à mort, avant de confirmer ou de commuer la sentence. Il s’agit toutefois d’une avancée mitigée, car cette décision ne sera pas automatiquement accordée à toutes les personnes condamnées à mort. En Inde, la Cour suprême a appelé à une réforme de peine de mort, bien que l’année 2022 ait vu le plus grand nombre de condamnations à mort prononcées par les tribunaux de première instance depuis 20 ans. En octobre 2022, le Pakistan a adopté une loi criminalisant la torture, ce qui devrait avoir un impact sur l’application de la peine de mort.

Deux jours d’échanges et de témoignages entre défenseur·euses des droits humains

Les deux jours du séminaire ont permis à tous les acteurs abolitionnistes présents d’échanger leurs points de vue sur l’application de la peine de mort, de discuter des bonnes pratiques à adopter face aux autorités tout comme vis-à-vis des organisations de la société civile et du grand public.

Prendre en compte l’intersectionnalité des luttes pour obtenir l’abolition de la peine de mort en Asie

Le premier jour, les panels composés d’une diversité d’acteurs de l’abolition tels que des parlementaires, institutions nationales des droits humains, activistes, porte-paroles d’ONG, anciens condamnés à mort, ont démontré par leurs argumentaires que notre mandat commun se trouve tristement à la croisée de nombreux combats pour les droits humains. Les violences sexuelles, les crises migratoires ainsi que la guerre contre le trafic de drogue sont souvent à l’origine des condamnations à mort dans la région, faisant des minorités de genre, ethniques et religieuses un instrument de manipulation politique par les gouvernements au pouvoir.

Les débats ont aussi tourné autour des stratégies à adopter pour installer l’abolition dans les pays du continent asiatique. Dato’ Hasnal Rezua Merican Bin Habib Merican, commissaire de la Commission des droits de l’Homme de Malaisie (SUHAKAM) a rappelé l’héritage colonial de cette sentence portée au niveau national par l’empire britannique, qui n’a pas été remis en question pendant les quarante années suivant l’indépendance, en 1957 : « La peine de mort est un instrument politique, il revient donc au gouvernement de la mettre à l’agenda des réformes politiques. […] Nous devons prendre des mesures fortes dès maintenant et inscrire l’abolition dans la loi, car nous ne savons pas qui pourrait un jour arriver au pouvoir », a-t-il affirmé.

Des ateliers sur les bonnes pratiques à adopter en termes de communication avec les acteurs de la presse et des nouveaux médias ont également eu lieu pour élargir le combat à de nouveaux secteurs et impliquer les citoyen·nes dans un changement de société favorable à toutes et tous.

Un chemin pavé d’obstacles à l’abolition

En 2022, l’utilisation de la peine de mort a été particulièrement inquiétante sur le continent asiatique. Cette deuxième journée était dédiée aux obstacles rencontrés par les activistes dans le déroulement de leur plaidoyer. Une longue session consacrée à la situation des avocat·es défendant les personnes condamnées à mort a soulevé de nombreux défis : dans plusieurs pays, les avocat·es sont la cible d’intimidation de la part de leur propre gouvernement, comme c’est le cas de M. Ravi, avocat à Singapour. Interdit d’exercer pour cinq ans, il continue de plaider pour la défense des condamné·es à mort. En Indonésie, Yosua Octavian, conseiller juridique au Community Legal Aid Institute (LBH Masyarakat), rappelle que tous·tes les avocat·es ne sont pas favorables à l’abolition de la peine de mort ou craignent d’accepter ces dossiers par peur des représailles. Pretty Tioria Sirait, Responsable plaidoyer chez KontraS, a également rappelé que certains avocat ·es collaborent avec les forces de l’ordre, allant à l’encontre des intérêts de leurs clients. Dans le pays, si les avocat·es sont tenu ·es d’accepter les commissions d’office, aucune sanction ne leur est imposée si cette obligation n’est pas respectée.

La collecte de données et la transparence relative aux dossiers de peine de mort dans les pays dirigés par des gouvernements autoritaires – parfois illégitimes – représentent également un obstacle de taille à l’avancée du combat abolitionniste dans la région. Au Myanmar, par exemple, depuis la prise du pouvoir par la dictature militaire il est devenu très compliqué de vérifier les données car les familles des personnes exécutées craignent que le nom de leur proche disparu soit divulgué sur les réseaux sociaux. Les coupures délibérées d’internet, les atteintes à la liberté d’expression et la désinformation représentent également autant de facteurs ralentissant le travail des militant·es abolitionnistes.

Les jeunes engagé·es contre la peine de mort

Les jours suivant le séminaire, les membres d’ECPM étaient invité·es au forum des jeunes organisé par TAEDP et ADPAN : l’opportunité pour cette nouvelle génération militante de rencontrer des expert·es de la thématique et d’échanger autour des différents défis auxquels ils et elles sont confrontés dans leur combat. Au programme, une introduction aux organes et mécanismes internationaux existants pour mener leur plaidoyer dispensée par Aurélie Plaçais, Directrice de la Coalition mondiale contre la peine de mort, la construction d’un plan de communication 360° pour la prochaine journée mondiale contre la peine de mort, le témoignage fort de Hsu Tzu-chiang, ancien condamné à mort à Taïwan, ou encore une formation sur les stratégies de presse à envisager délivrée par Kirsten Han, journaliste spécialiste du sujet au sein du Transformative Justice Collective à Singapour.

La visite du mémorial de la Terreur Blanche de Jing-Mei a également été l’un des moments phares de cette rencontre, que Fred Chin, ancien prisonnier politique ayant écopé d’une peine de douze ans de prison après avoir échappé à une condamnation à mort, nous a fait visiter en nous racontant son histoire et les implications politiques de la loi martiale, permettant notamment à toute personne de dénoncer autrui commettant une offense politique. À ce jour, Fred Chin ne connaît toujours pas les motifs précis de sa condamnation. Pendant les quarante années de la Terreur Blanche de Tchang Kaï-chek, 3 000 à 4 000 personnes ont été exécutées.

Zoom sur le centre de détention de Taichung

Le forum des jeunes s’est clôturé sur la visite du centre de détention de Taichung, qui compte plus de 1 600 prisonniers, dont 7 sont condamnés à mort. 4 sentences capitales ont été confirmées. Les personnes condamnées à mort partagent les mêmes cellules que ceux en attente de leur procès ou de leur jugement et sont généralement traités de la même manière.

Extérieur du centre de détention de Taichung

L’établissement semble bien entretenu. De loin, nous avons salué les détenus au travail. Après avoir visité le centre général de contrôle, regroupant la vidéosurveillance de toutes les cellules, nous avons traversé le couloir de détention où le contraste entre les extérieurs verts et bien taillés et les cellules fermées à double tour a commencé à saisir la délégation. Dans huit mètres carrés tout au plus s’entassent 3 à 4 personnes. Les condamnés à mort partagent une cellule avec un prisonnier purgeant une peine légère. Au fond de la pièce, des toilettes et une bassine d’eau servant à se laver. Aucun rideau, aucun mur pour se protéger des regards : une façon d’éloigner les détenus de leur humanité. Une table, ou plutôt une planche, se rabat contre le mur. Au sol, rien d’autre que le béton dur pour s’assoupir dans la chaleur étouffante de l’été taiwanais. Nous croisons le chemin d’un homme condamné à mort qui participait à un cours de dessin. Incarcéré depuis 18 ans déjà, il nous a timidement souri et adressé quelques mots. L’une de ses œuvres était affichée sur l’un des murs.

Plus loin, la porte « de la vie et de la mort ». Celle que l’on n’ouvre qu’à ceux dont les yeux se fermeront à tout jamais dans les minutes qui suivront leur passage. Ce grand portail en métal se situe entre le centre de détention où se trouvent les condamnés à la peine capitale, et la prison où séjournent ceux qui purgent de longues peines. Historiquement, ceux que l’État décidait d’éliminer disparaissaient rapidement, on ne prenait donc pas la peine de les transférer en prison. Malgré les longues années  qu’ils voient s’écouler aujourd’hui, il en est resté ainsi à Taichung.

La chambre d’exécution est à demi à l’extérieur. Le condamné peut demander une dernière fois la clémence au procureur, apporter des détails sur son dossier. Mais n’étant informé de son exécution que deux à trois heures avant l’heure fatidique, le temps de prendre une douche, rassembler ses affaires et choisir les vêtements qu’il portera, il ne peut que prononcer ses derniers mots et consommer son dernier repas, qu’il choisit également. On nous explique que la personne sur le point d’être exécutée a le droit à de l’alcool et à une cigarette.

Sa famille ne sera informée de l’exécution que lorsque le condamné sera escorté vers cette pièce. Juste le temps d’informer les pompes funèbres pour que le corps du défunt soit emmené rapidement. Iels ne pourront jamais lui dire au-revoir. Si lors de la détention, les visites sont illimitées, chacune d’entre elle est donc potentiellement la dernière.

Une anesthésie est administrée au condamné qui perd alors connaissance. On l’allonge, sur le ventre, sur un tas de sable recouvert d’un linge, au milieu d’un espace ouvert sur l’extérieur. Dans cette enceinte, un petit temple borde l’un des murs où une dernière prière lui est accordée. Au fond, la porte qui libèrera sa dépouille.

Le bourreau lui tire une balle dans le dos, il vise le cœur à bout portant. Le médecin légiste constate le décès. En cas de raté, une seconde balle viendra l’achever. Tous les gardes de la division doivent être témoins de l’exécution.