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Tunisie : une conférence nationale donne un nouveau souffle au travail vers l’abolition de la peine de mort

Les 19 et 20 décembre 2019, quasiment neuf ans, jour pour jour, après la Révolution tunisienne, ECPM et son partenaire tunisien la Coalition tunisienne contre la peine de mort (CTCPM) organisaient une Conférence nationale sous le thème les stratégies vers l’abolition de la peine de mort.

Lors de la Cérémonie d’ouverture, M. Latif, président de la CTCPM, Me Bouderbala, président du Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CSDHLF), la Représentante de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), Mme Aristide Cantier, Représentante du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies en Tunisie (HCDH) et M. Perron, Directeur des programmes d’ECPM ont pris successivement la parole, saluant la tenue de cette Conférence.



En introduction, Me Bouderbala (CSDHLF) a considéré que la peine de mort était la Loi du Talion, et réaffirmé que la Charia prévoit une notion de réhabilitation.

« L’Homme ne devrait pas prendre la vie, l’homme transmet la vie. »

Me Bouderbala, président du CSDHLF

Puis, Mme Aristide Cantier (HCDH) a rappelé qu’un grand nombre de crimes était passible de la peine de mort en Tunisie et que le moratoire n’empêche pas que des condamnations à mort continuent d’être prononcées. Pour elle, la question de la peine de mort est un sujet essentiel lié au tout premier des droits : le droit à la vie.

« Le droit à la vie et l’abolition de la peine de mort doivent faire partie des revendications dans le cadre de l’instauration d’un processus démocratique et de l’amélioration de l’administration de la justice. »

Mme Aristide Cantier, représentante de la LTDH

Elle a rappelé qu’elle était au cœur du mandat du HCDH, et insisté sur le fait que la peine de mort n’était pas uniquement une souffrance infligée à la victime mais aussi à ses proches, et qu’elle touchait avant tout les catégories les plus vulnérables de la population. Elle a affirmé que le HCDH répondrait de manière positive à toute initiative visant à aller vers l’abolition.

M. Perron (ECPM) a précisé qu’il était particulièrement émouvant de se retrouver 9 ans après la Révolution tunisienne quasiment jours pour jours et qu’il était important de continuer à mener un plaidoyer pour obtenir des avancées en matière de droits de l’Homme. Il a rappelé que l’abolition était une question centrale et dépendait avant tout des opportunités politiques.

« Actuellement, tous les Etats du Maghreb connaissent des évolutions politiques. Les acteurs abolitionnistes doivent renforcer leur plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort. »

M. Perron, directeur des programmes d’ECPM

Les allocutions d’ouverture ont été suivies d’un hommage aux trois lauréats tunisiens de la dernière édition du concours international de dessins contre la peine de mort organisé tous les 2 ans par ECPM et largement diffusé en Tunisie par la CTCPM. Un hommage à Radia Nasraoui, militante des droits de l’Homme a aussi été rendu.



Lors des différents panels et tables rondes, sont notamment intervenus Yosra Frawes, présidente de l’ATFD Hafidha Chekir, universitaire, Bochra Bel Haj Hmida, avocate, ancienne parlementaire, Hatem Hfaiedh, magistrat.

Plus de 146 crimes seraient passibles de la peine de mort en Tunisie mais que la peine de mort ne peut être prononcée qu’après une majorité absolue.

Certains intervenants ont noté que la Constitution tunisienne devrait certes être amendée mais il ne s’agit pas d’un préalable indispensable à l’abolition de la peine de mort. Le Rapport de la COLIBE avait préconisé une sensibilisation de la population et des leaders d’opinion afin de faire évoluer l’opinion publique. Aujourd’hui, l’opinion publique est persuadée qu’il y a une recrudescence du nombre de crimes et notamment des crimes violents à l’égard des enfants ; mais ce qu’il est important de noter est que le nombre de crimes n’a pas forcément augmenté, c’est la médiatisation grandissante depuis la Révolution qui donne cette impression.

Selon plusieurs intervenants, aujourd’hui, la plupart des groupes politiques seraient en faveur de l’abolition de la peine de mort. Ce sont les catégories vulnérables qui sont le plus victimes de la peine de mort or ce sont aussi les catégories qui seraient le plus en faveur de l’application de la peine de mort.

Les défis fondamentaux qui pourraient permettre d’aller progressivement vers l’abolition de la peine de mort sont une amélioration de l’administration de la justice et de la mise en place des instances constitutionnelles.

Il a été souligné qu’en application de la plupart des textes juridiques dans le monde, le Magistrat devrait pouvoir appliquer l’interprétation de la Constitution sans attendre une interprétation de la Constitution par la Cour constitutionnelle. Pour la plupart des intervenants la codification du moratoire n’est pas la solution, il est important de travailler à l’harmonisation des dispositions législatives existantes et de vérifier que les garanties minimales de procès équitable et de traitement des détenus soient respectées.

En décembre 2020, les Etats du monde entier seront de nouveaux appelés à voter en faveur de la Résolution moratoire. Certains intervenants ont souligné que si les nouveaux régimes souhaitaient se démarquer des anciens, ils devraient prendre toutes les mesures pour s’engager vers l’abolition de la peine de mort en votant en faveur de la Résolution, en menant des réformes visant à réduire le champs d’application de la peine de mort et en transformant les moratoires en abolitions.

La plupart des Etats de la région ont ratifié le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et l’Observation générale du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies relative à l’article 6 de ce Pacte. Elle permet d’identifier des leviers pour aller progressivement vers l’abolition de la peine de mort, selon Julia Bourbon Fernandez (ECPM). Certains des Etats se sont aussi engagés en acceptant des recommandations dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU) et notamment celles de favoriser un débat public sur la question de la peine de mort.

Les acteurs abolitionnistes peuvent se saisir de ces recommandations pour avancer vers l’abolition de la peine de mort

Samia Kamoun (HCDH)



Les intervenants d’Algérie ; Me Benissad, du Maroc ; Me Jamai, de Mauritanie ; Me M’Baye et de Tunisie ; M. Latif ont présenté la situation dans leurs pays respectifs.

En Algérie, la plupart des informations sont récoltées à travers la presse. Selon Me Benissad, environ 630 condamnés à mort seraient actuellement détenus en Algérie dans les prisons. La plupart des condamnations à mort sont prononcées par contumace et le Code pénal est basé sur une culture de l’aveu. Il serait particulièrement difficile de tenir un débat ouvert avec un large public actuellement en Algérie.

Au Maroc, il y a eu 2 processus ; un processus juridique et un processus judiciaire. La législation actuelle prévoit 930 crimes passibles de la peine de mort. Le Code pénal est actuellement en phase de révision. En 2018, le Ministère a présenté un projet de 86 articles et a réduit à 11 le nombre de crimes passibles de la peine de mort. Néanmoins, l’introduction de nouveaux crimes dans le Code pénal pourrait s’accompagner de la prévision de nouvelles sanctions passibles de la peine de mort. Au Maroc certains condamnés à mort ont passé plus de 15 ans en détention. Ils ne pourraient pas être exécutés conformément à la législation marocaine. Ils devraient pouvoir bénéficier de remises de peines. La société civile tente d’élargir sa base militante notamment en mettant en place de nouveaux réseaux. Avant la fin janvier seront mis en place un Réseau de journalistes et un Réseau de médecins.

En Mauritanie, les lois actuelles sont celles héritées de la colonisation et le Code pénal de 1962 a codifié en crimes passibles de la peine de mort des crimes qui ne peuvent être considérés comme les crimes les plus graves au sens du droit international des droits de l’Homme. Entre 16 ans et 18 ans il existe un vide juridique et le mineur peut être condamné à la peine de mort. Les conditions de détention des condamnés à mort sont très difficiles.

Enfin, la seconde journée de cette Conférence a permis des échanges sur les stratégies de communication et de sensibilisation sur la question de la peine de mort.

Mohammed Maali (CTCPM) a présenté les stratégies de communication auprès des médias tandis que Rakia Chehida (CTCPM) a présenté les actions de sensibilisation auprès des jeunes menées par la CTCPM.