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En mémoire de Hank Skinner : « Hank était un combattant »

À l’annonce de la disparition d’Hank Skinner, ECPM se joint à la peine de ses proches et notamment de sa compagne Sandrine Ageorges-Skinner, membre du conseil d’administration d’ECPM de 2009 à 2022.
Portrait de Hank Skinner au parloir

Enfermé dans le couloir de la mort au Texas, Hank aura vécu presque 28 ans à l’isolement, ne pouvant sortir de sa cellule plus d’une heure par jour. Des années de combat qu’il aura mené avec ferveur, soutenu depuis l’extérieur par son épouse et ses avocat·es, pour blanchir son nom. Accusé d’un triple homicide, il aura clamé son innocence jusqu’au dernier jour. Alors qu’il faisait face à une date d’exécution pour la quatrième fois, Hank s’est finalement éteint le 16 février 2023 après des complications d’une tumeur au cerveau.

ECPM soutenait Hank depuis la France depuis 2009, en organisant des levées de fonds et en mobilisant la presse pour alerter sur l’injustice dont Hank était victime.

Nous pensons à cet instant, au 24 mars 2010, il y a 13 ans, où Hank Skinner, dans la tristement célèbre prison de Huntsville au Texas, devait être exécuté. Toujours nous nous rappellerons ce soir où tous réuni·es sur la place de la Concorde à Paris, devant l’ambassade des États-Unis à quelques heures de l’exécution programmée de Hank Skinner nous continuions d’y croire malgré les minutes qui s’égrenaient. Sandrine Ageorges-Skinner, son épouse et membre de notre conseil d’administration était en direct du Texas avec notre directeur, Raphaël Chenuil-Hazan. Elle était encore et toujours confiante. L’actrice Lou Doillon venait nous apporter son soutien, les militants, sympathisants et autres partenaires d’ECPM étaient tous présents, criant leur indignation. Hank a survécu à 23 minutes de l’exécution.

Plus récemment, Hank Skinner était intervenu au 8e Congrès mondial contre la peine de mort en novembre dernier par le biais d’une lettre lue par Sandrine Ageorges-Skinner.

Hank était passionné de droit : nos pensées se dirigent également vers ceux qu’il a accompagné et aidé à sortir des couloirs de la mort, et à ceux, exécutés par l’État du Texas.  Sa force, l’amitié et l’amour dont il faisait preuve continueront de nous inspirer dans notre combat vers l’abolition universelle de la peine de mort.

La lettre de Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d’ECPM

Le 17 avril 2022, Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d’ECPM a rendu visite à Hank Skinner. De retour du parloir, il avait couché ce moment sur le papier, qu’il partage aujourd’hui.

Houston, Texas

Le 17 avril 2022

À Sandrine Ageorges-Skinner,

Hier soir je suis allé visiter Hank Skinner dans le couloir de la mort dans la prison de Livingston au Nord de Houston près du très jolie lac Livingston. Ce lac est un étrange havre de paix et de quiétude à quelques miles de l’épicentre d’un des plus horribles visages de l’Amérique, celui du système de mise à mort officiel.  Hank a passé 27 ans dans les couloirs de la mort, il a fêté lundi dernier ses 60 ans. Il n’avait pas eu de visites depuis 2019 jusqu’à ces dernières semaines où il a vu d’affilé sa femme Sandrine, son avocat Rob et une journaliste américaine. Voilà que je me rajoute à cette liste de visiteurs de dernière minute. Ces visiteurs qui viennent de loin, de l’autre côté de l’atlantique pour tenter de garder un lien avec l’humanité.

L’entrée de cette prison ressemble à d’autres complexes de haute sécurité regroupant plusieurs milliers de prisonniers mais dans celui-ci j’ajoute près de 200 condamnés à mort (ils étaient plus de 500 il y a quelques années). Une chose m’a marqué, en entrant dans la si fameuse Polunsky Unit (couloir de la mort) c’est l’aspect clinique des lieux si propres devant, si entretenus. Le hall d’entrée ressemble à une salle d’attente d’une clinique privée…et pourtant si sale (dirty) derrière. Dans ce hall à côté de la blague du jour (Q: What was the rabbit’s favorite dance? A: The bunny hop (je ne l’ai toujours pas vraiment comprise)), la référence à la semaine mondiale de l’Autisme (comme une provocation au vue du nombre de personnes handicapées, autistes et autres, présentes dans la prison). Il y avait également cette maxime totalement délirante : « You have the choice to take the chance to challenge yourself to change », comme si les couloirs de la mort offraient réellement une possibilité de rédemption et de changer !

Délirant et tellement américain ! Tu me diras, ils ne sont pas à une incohérence près. Dans cette salle attendaient avec moi les visages de la détresse et de la pauvreté… en tout cas c’est ce que j’ai cru percevoir.

Je rentre enfin dans le parloir, car c’est à travers une vitre, via un téléphone des années 80 que nous allons passer la soirée ensemble. C’est étrange, car cela fait 13 ans que je suivais le cas de Hank. Cela avait commencé en octobre 2009 quelques mois avant le Congrès contre la peine de mort de Genève, Sandrine Ageorges nous appris qu’elle se nommait dorénavant Sandrine Ageorges-Skinner, car elle avait épousé un condamné à mort au Texas. Dans la foulée elle nous apprit qu’il avait une date d’exécution prévue justement pour le 1er jour du Congrès mondial que nous organisions. Cela, nous ne pouvions l’accepter sans rien faire. Alors a débuté la campagne que nous appelons depuis #Justice4Hank.

Hank et moi avions un moment correspondu par lettres il y a fort longtemps. Je n’avais pas réussi à m’astreindre à une correspondance régulière. Peut-être que je la fuyais. Cette fois-ci notre rencontre était imminente. C’est la 1ère fois que je mets les pieds dans une prison américaine et d’autant plus dans un couloir de la mort texan. Je dois avouer que ce n’était pas évident d’entrer dans ce lieu dingue où l’on côtoie la folie du système judiciaire américain, la misère et la mort. Entrer dans un tel lieu quand on n’y est pas obligé est quelque chose d’insensé et en même temps absolument nécessaire.

Lorsque qu’on me laisse enfin pénétrer dans le parloir, il est 18h je crois. Je me dirige vers les cabines tant de fois aperçues dans les films et les documentaires. Hank est déjà là à m’attendre. Il a pris un énorme coup de vieux. Il porte une longue barbe blanche avec quelques reflets roux (à la ZZ Top), marquant ses années d’isolement sensoriel total (puisqu’il n’est en contact avec quasi aucun être humain hormis ses gardiens depuis presque 3 décennies), qu’il n’a pas accès à l’air libre, qu’il ne peut pas ouvrir la fenêtre de sa cellule même durant les chaleurs étouffantes voire suffocantes du Texas. Son rire extrêmement sincère me marque assez rapidement au cours de nos échanges et son regard totalement espiègle et malicieux lui donne encore ce semblant d’être parmi les vivants et non pas un enterré-vivant. Hank a eu dans sa vie 4 dates d’exécutions. Pour les trois premières, il a dû se préparer à mourir, accepter son transfert dans la prison de Huntsville à 45 miles plus au Nord en direction de Dallas, ranger ses affaires, plier impeccablement le peu de vêtements qu’il possède, manger son dernier repas, faire sa dernière prière. Malgré tout cela, nous avons passé plus de 3 heures (normalement les visites durent moins de 2 heures, mais  on m’a laissé rester un peu plus longtemps) à tchatcher et à rigoler. Et devinez de quoi j’ai parlé ! Je lui ai parlé de mon régime de « carbs et de prots », de ce qui est « smart » à manger et ce qui ne l’est pas. Nous avons disserté sur les bienfaits des piments et particulièrement des piments jalapeños sur la santé : une passion commune. C’est marrant nous étions dans le pire endroit de la terre pour parler cuisine et pourtant nous avions cette discussion surréaliste mais tellement banale et sympathique à propos de nos plats préférés.

Tout à coup, il me demande d’absolument rappeler à Sandrine, sa femme, de bien commander sur Amazon, un colis spécial pour Passover (Pessah). Je bloque un peu. Je lui demande mais c’est quoi cette histoire, avec ta barbe et la Pessah, tu t’es converti au judaïsme pour avoir accès aux colis spéciaux dis-moi ? Il se marre, et me répond qu’il a écrit dans son dossier qu’il se considérait comme un chrétien messianique ! Son messianisme lui permet l’espace d’un moment dans l’année d’avoir accès à un peu de nourriture décente tant le descriptif de ce qu’il mange en prison semble digne du pire des pensionnats d’orphelins sortie d’un roman de Dickens.

Nous avons parlé de spiritualité, de croyance, d’enfance et de l’actualité. C’est fou d’ailleurs sa capacité à suivre l’actualité internationale pour un gars qui n’a quasi aucun lien avec le monde extérieur, enfermé à l’isolement une bonne partie de sa vie et pourtant qui s’accroche à ce monde en suivant et s’intéressant à ce qu’il s’y passe.

Il m’a aussi conté des anecdotes sur sa grand-mère paternelle et ses moments de connivence en regardant Twilight zone, qui encore aujourd’hui lui font dire qu’il a un don spécial pour percevoir des choses occultes, ce qu’il appelle « voir au-delà des apparences ». Nous avons pu approfondir sur son enfance, ses grands-mères et aujourd’hui son amour pour Sandrine et cette histoire qu’il qualifie d’extraordinaire.

Avant de nous séparer après un très long entretien, il me dit le bien que cela lui faisait de pouvoir parler à un ami masculin, car finalement, il avait beaucoup été entouré de femmes. Encore aujourd’hui les personnes qui le visitent en prison sont des femmes (hormis ses avocats, qu’il a vu 2 fois en 4 ans). En partant, je le questionne sur son état d’esprit : il me répond qu’il ressent une tristesse immense sur l’immense gâchis qu’est sa vie et les souffrances endurées, mais qu’il trouve un sens à sa vie dans le soutien qu’il donne aux autres condamnés à mort, notamment un soutien dans leurs stratégies de défense. Il a aidé déjà des dizaines et des dizaines de prisonniers, certains ont même pu sortir de prison. Il n’en est pas peu fier. D’autres ont été exécutés au fil de ces si longues années et d’autres encore sont avec lui dans les couloirs.  Il en rit une dernière fois avec sa dentition très approximative. Car il sait que quoiqu’il arrive, il sortira libre de cet enfer. Libre dans sa tête, libre au-delà des apparences.

Il n’a depuis bien longtemps que très peu accès aux 5 sens : ni au toucher, au goût, à l’odorat, la vue ni à l’ouïe. Quelques jours avant notre entrevue, il a eu l’occasion de voir un spectacle dans l’enceinte de la prison, assuré par une certain Darleen, une chanteuse qui l’a ému jusqu’aux larmes en interprétant Crazy de Patsy Cline, chanson qu’il aime tant, venant d’une native de Virginie comme lui. Il a demandé à l’aumônier de l’aider à retrouver le contact de cette chanteuse car il veut lui écrire combien son show lui a fait du bien. Le pouvoir de l’art et du chant sur les âmes blessées. C’est en Virginie me dit-il qu’il voudra être enterré car avec la France (ce pays d’adoption qu’il connaît si peu) c’est la seule terre aujourd’hui qui lui parle un tant soit peu.

Crazy, de Patsy Cline

De mon côté, Hank m’aura permis de confirmer, s’il en était nécessaire, toute l’humanité qui se trouvait derrière ces murs sordides. Hank Skinner est un combattant vivant dans l’un des pires endroits au monde. Je comprends un peu mieux aujourd’hui, mon amie Sandrine Ageorges-Skinner que je cours retrouver pour un road trip à travers le Texas de Livingston à Houston, puis de Dallas à Beaumont.

Raphaël Chenuil-Hazan

Et maintenant ?

Le combat continue ! Sandrine Ageorges-Skinner le rappelle « La tristesse n’est pas une option et la meilleure façon d’honorer la mémoire de Hank est dans l’action ! ». Pour soutenir les familles de personnes condamnées à mort au Texas et assurer leur défense, vous pouvez faire un don à l’association Texas after violence project.