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Christelle Vuanga : « La génération qui arrive doit grandir avec l’abolition en tête »

Christelle Vuanga est députée nationale en République démocratique du Congo (RDC), présidente de la commission Femmes, Genre, Famille et Enfant de l’Assemblée nationale et présidente du Réseau de parlementaires abolitionnistes en RDC. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ECPM tenait à présenter cette fervente abolitionniste, militante dès son plus jeune âge et depuis plusieurs années auprès de notre partenaire congolais et chef de fil de la coalition congolaise contre la peine de mort (CCPM-RDC), Culture pour la Paix et la Justice (CPJ). C’est aux côtés d’autres femmes engagées, que nous vous présentons régulièrement (Aminata Niakate, Ramla Liatouji, ou encore Sabrina Van Tassel, pour ne citer que nos portraits les plus récents), qu’elle mène ce combat essentiel.

Nous avions rencontré Christelle Vuanga à l’occasion de sa venue en France pour le colloque international sur les 40 ans de l’abolition de la peine de mort en France

Qu’est-ce qui vous a menée à vous engager pour l’abolition de la peine de mort ?

Je crois que j’ai toujours été abolitionniste. Je me souviens que déjà, en classe de quatrième, nous étudiions un texte du livre de Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné. Suite à cela, ma maîtresse avait ouvert un débat pour savoir qui était pour ou contre la peine de mort. À ce moment-là, je m’étais levée pour dire que j’étais contre la peine de mort, en avançant des arguments conformément à mon jeune âge, bien sûr, mais ma maîtresse avait trouvé que j’étais brillante. Encore aujourd’hui, mes camarades de classe témoignent que j’étais abolitionniste depuis très longtemps.

Lorsque je suis arrivée à l’Assemblée nationale, j’ai découvert qu’il y avait un réseau de parlementaires abolitionnistes, et j’ai décidé de l’intégrer, pour contribuer à mener à bien cette lutte au sein des institutions. 

Christelle Vuanga à l’Assemblée Nationale © Christophe Meireis Quelle forme prend votre engagement aujourd’hui ? En quoi consiste votre travail aux côtés d’ECPM ?

En tant que parlementaire, nous légiférons, c’est-à-dire que nous faisons voter les lois, notamment la loi portant abolition de la peine de mort. En ce qui concerne les prérogatives attachées à mon poste, j’ai accès au nombre de condamné.e.s à mort dans les prisons, aux documents de suivi, je peux savoir si les procès ont étés respectés, pourquoi il y a une recrudescence des condamnations à mort, etc.

Concrètement, j’aimerais vous partager trois souvenirs concrets de mon rôle de parlementaire, qui m’ont particulièrement touchés : pendant la crise sanitaire, les condamné.e.s à mort ne pouvaient plus recevoir de la visite de leur famille, c’est donc la Croix Rouge qui apportait de la nourriture. Cependant, elle était principalement distribuée aux autres prisonnier.e.s, et non aux personnes condamnées à mort, ce qui fait qu’ils et elles mourraient de faim dans les prisons. Avec ECPM et CPJ nous avons recensé et constitué des kits de survie contenant des produits de première nécessité : nourriture, santé, soins, hygiène, que l’on a remis à ces personnes. Les messages qu’ils nous ont envoyé pour nous remercier étaient particulièrement touchants, car au-delà du contexte juridique des lois, on touche à la vie des condamné.e.s.

La toute dernière, c’est lorsqu’un couple qui avait trois enfant a été condamné à mort. Leurs enfants n’avaient plus nulle part où aller. Nous nous sommes alors impliqué.e.s pour la libération de la mère, mais en attendant, elle était avec ses enfants en prison. Grâce au travail de CPJ, le réseau des avocats contre la peine de mort et le soutien d’ECPM, nous avons obtenu le placement des enfants dans une maison d’accueil, puis la libération de la maman pour qu’elle puisse s’occuper de ses enfants.

 

Dans le cadre des commémorations de l’abolition en France, ECPM a tenu un colloque à l’Assemblée nationale, auquel vous avez été invitée à prononcer un discours : pourquoi était-ce important pour vous d’y participer ?

Premièrement, pour rencontrer M. Badinter : c’était très important pour moi car j’ai lu ses livres, j’ai regardé beaucoup de reportages sur lui, et quarante ans après l’abolition de la peine de mort en France, sa mémoire est encore vive. En tant que fille née en Afrique, je peux vous dire que les gens pensent que l’abolition est une affaire de blancs, alors que ça n’a rien à voir avec la couleur ou avec la race : je suis venue démontrer que de là où je viens, nous avons aussi la volonté d’abolir la peine de mort, et il faut que nous participions à ce grand forum autour de la table mondiale pour en discuter et faire valoir la position de la RDC.

Christelle Vuanga et Robert Badinter, septembre 2021 Aujourd’hui, quels sont les enjeux pour aller vers l’abolition totale de la peine de mort en RDC ?

Pour nous, abolitionnistes, il s’agit d’abord d’une lutte morale, mais pour celles et ceux qui ne comprennent pas les enjeux de l’abolition, ce combat est politique avant tout. Notre Assemblée nationale est pratiquement dirigée par la majorité, car nous sommes en démocratie, et plusieurs responsables politiques affirment que parce que plusieurs conflits ont cours dans le pays, on ne peut pas abolir complètement la peine de mort. En tant que porteurs de la lutte, il est donc de notre devoir de leur faire comprendre qu’il n’y a aucun lien entre ce qu’il se passe dans l’est du pays (atrocités, viols de femmes, kidnapping des enfants…) et la présence de la peine de mort dans notre législation pénale. Lorsque ces politiques s’imprègneront de la vérité, de la réalité, du bon sens, je pense que ce sera un pas vers la victoire.

 

En quoi le modèle de la RDC pourrait être un moteur pour que l’Afrique devienne le prochain continent abolitionniste, au même titre que le Tchad par exemple, qui a aboli l’an passé ?

 

Quel sont les prochains chantiers de l’abolition en lien avec ECPM ?

Je pense que le prochain chantier, c’est la jeunesse. La génération qui arrive doit grandir avec l’abolition en tête pour pérenniser la lutte. Il ne s’agit pas seulement d’abolir, mais aussi de maintenir. Par exemple, dans mon pays, il y a un moratoire, ce qui fait que l’on ne tue pas, mais on condamne. Cependant, beaucoup de les condamnés à mort sont relégués dans des prisons secrètes où ils n’ont ni accès à la nourriture, ni aux soins, et c’est une autre forme de mort, c’est aussi une manière de tuer. Nous voulons une abolition vraie, accompagnée par les acteurs politiques mais aussi par la jeunesse et par l’opinion. Il est vrai que tout le monde ne sera pas d’accord, mais les réformes ne sont pas faites lorsque tout le monde est d’accord.

Retrouvez l’action d’ECPM en RDC